Peur d'être coupé du monde

Il y a une semaine, un jeune homme (entre vingt et trente, sans doute plus près de vingt) s'approche de notre petit groupe et nous demande, sa plaque vitrifiée appelée téléphone intelligent à la main, si nous avons du réseau. Dans notre groupe un jeune couple du même âge que lui, une femme d'une cinquantaine d'années et moi. Pour ma part je ne peux lui répondre ne possédant pas le type d'appareil dont le disfonctionnement le met en émois.

Les jeunes lui demandent chez quel opérateur il est, ils constatent qu'ils n'ont pas le même et ne peuvent ainsi lui fournir la réponse qu'il attend. Il semble très fébrile, au début je n'y prête pas attention, mais il semble vraiment très mal à l'aise.

Et d'un coup il lâche son angoisse, une vraie angoisse, pas feinte du tout : « c'est terrible d'être ainsi coupé du monde ». Je me retiens de lui répondre qu'il est dans une ville (certes petite), qu'il parle actuellement avec des êtres humains qui ne sont absolument pas agressifs à son égard, bien au contraire, et que je ne vois pas que l'on puisse résumer cette situation par le fait d'être « coupé du monde ».

Mais je vois qu'il n'est pas en état d'entendre une remarque sensée, et encore moins une petite pique au second degré. J'assiste en direct à une amorce de crise de manque, non pas d'héroïne, ou de cannabis, ou simplement de tabac, mais de connexion réseau. Je savais que cela existait mais le voir est très déstabilisant.

Quelles horribles difficultés et souffrances vont rencontrer et endurer des personnes aussi fragiles, aussi peu construites dans les décennies qui nous attendent et où une coupure réseau sera le moindre de nos soucis (en postulant qu'il reste des réseaux à couper).

On m'a appris le lendemain qu'il y avait eu une coupure réseau chez l'opérateur qu'utilisait ce jeune homme, mais que c'était rentré dans l'ordre. Ouf ! le petit Robinson numérique va peut-être survivre encore quelques jours.