Un honnête homme

Rédigé par Alarc'h - - Aucun commentaire

Lorsque j'étais en classe de sixième, j'avais un professeur de français, normalien, agrégé de lettres classiques natif du Quercy. Il avait quelques marottes, au nombre desquelles figuraient Brigitte Bardot, Montaigne, Proust, la Fontaine et l'esprit soixante-huitard.

Un curieux inventaire, lui qui nous parlait des « conneries à la Prévert ». Il avait le goût classique que voulez-vous, mais était un homme malgré tout (ce qui devait expliquer sa fascination pour BB, qu'il était loin d'être le seul à éprouver en ces années lointaines).

Il nous disait qu'un honnête homme devait connaître par coeur cent fables de la Fontaine. A onze ans cela me laissait perplexe, mais tout de même j'ai lu les Fables, me disant qu'un homme si sage devait avoir de bonnes raison de nous conseiller cette lecture.

De fait je ne connais pas cent fables par coeur, loin de là, et je ne suis sans doute pas devenu un honnête homme au sens où il l'entendait. Mais j'ai, je pense, compris pourquoi il fallait les lire.

Deux sont restées pour moi une référence toujours présente à mon esprit. L'une que j'avais appris dès l'école primaire et l'autre que j'ai découverte par moi-même.

Et entre ces deux fables existe une tension qui traduit toutes les contradictions qui constituent une âme humaine. Le désir de liberté et de lucidité et les douleurs que peuvent occasionner les deux.

Ces fables les voici, dans une langue que personne ne parle plus, avec une morale à une époque où l'on a tellement peur de notre amoralisme que le mot a été remplacé par celui, technique, d'éthique.

Le loup et le chien

Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
« Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. »
Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. »
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
« Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

Les Fables, Livre I

Le cochon la chèvre et le mouton

Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,
Montés sur même char s’en allaient à la foire :
Leur divertissement ne les y portait pas ;
On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire :
Le Charton n’avait pas dessein
De les mener voir Tabarin.
Dom Pourceau criait en chemin
Comme s’il avait eu cent Bouchers à ses trousses.
C’était une clameur à rendre les gens sourds
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours ;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.
Le Charton dit au Porc : Qu’as-tu tant à te plaindre ?
Tu nous étourdis tous, que ne te tiens-tu coi ?
Ces deux personnes-ci plus honnêtes que toi,
Devraient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire.
Regarde ce Mouton ; a-t-il dit un seul mot ?
Il est sage. Il est un sot,
Repartit le Cochon : s’il savait son affaire,
Il crierait comme moi, du haut de son gosier,
Et cette autre personne honnête
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine.
Je ne sais pas s’ils ont raison ;
Mais quant à moi qui ne suis bon
Qu’à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison.
Dom Pourceau raisonnait en subtil personnage :
Mais que lui servait-il ? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin ;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.

Les Fables Livre VIII

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